L'influence de la société sur le rap

Des années 90 à nos jours le rap est devenu en France un art de plus en plus engagé dans la société au niveau social et politique.  

Il est l’un des seuls genres musicaux capables de parler à la jeunesse de toutes les communautés ethniques ou religieuses, il peut intéresser toute les origines sociales et ethniques, c’est un facteur de rassemblement et de gommage des différences culturelles.

Il évoque des messages sérieux et souvent difficiles à exprimer comme les inégalités sociales, le racisme, la religion, les dérives des policiers, la politique et les politiciens, le capitalisme, les médias, la société de consommation, les problèmes des quartiers défavorisés...donc tout ce qui touche à notre société.

Cependant cette expression politique et sociale n’est pas acceptée par l’ensemble de la société et n’est pas vue de la même manière.


     Pour commencer, c’est dans les années 90 que le rap s’impose en France (influencé par les USA) avec la création des groupes français IAM, Fonky Family, Supreme NTM et Lunatic, qui sont les plus connus. A cette époque il permet au plus pauvre d’accéder à la création artistique et de mettre leur vécu en musique. Le rap donne alors une voix à une population jusqu’à la peu représentée avant : celle des banlieues.


Le groupe IAM en 1990


Nous allons donc nous intéresser aux revendications et aux dénonciations liées aux quartiers défavorisés et aux problèmes qui y résident.

Les groupes NTM, Assassin ou Ministère A.M.E.R qui adoptent un rap hardcore et conscient avec des textes crus témoignent le plus souvent de la dure réalité dans les banlieues et rejettent la société  avec force et violence (ses normes, sa politique, ses codes,..).


 Le groupe Ministère A.M.E.R


On constate qu’en France dans les années 90 la situation économique et sociale n’est pas au plus haut : La France connaît une récession relativement brève mais violente du PIB plus précisément de 1991 à 1993 avec une baisse de 0,7% qui touche principalement les quartiers défavorisés où se rencontraient chômage, drogue, exclusion et racisme. Ainsi la situation des cités a inspiré les rappeurs de l’époque eux même confrontés à la vie en banlieue comme le démontre les origines de ces 5 artistes français les plus écoutés de 1990 à 2005:

  •     

    - NTM  à St-Denis (93) avec 41% de chômage chez les jeunes et 50,5% de taux de criminalité.

        

     -Booba et Ali du groupe Lunatic en Haut-de-Seine (92) avec 15% de chômage et 30,5% de taux de criminalité.

        

    - Rohff à Vitry-sur-Seine avec 32% de chômage et 43% de criminalité.

        

    - Psy 4 de la rime à Marseille (13) avec 35% de chômage chez les jeunes et 41,5% de taux de criminalité.


En 10 ans on remarque que les quartiers/les banlieues étaient alors bien souvent à la une de l’actualité en France avec de nombreuses émeutes violentes souvent à la suite de décès de jeunes vivant dans ces quartiers : en 1990 de violentes émeutes à Vaulx-en-Velin (banlieue de Lyon) après la mort d’un jeune dans un accident près d’un barrage de police, à Mantes-la-Jolie (Yvelines) après le décès d’Aïssa Ihiche, 18 ans, au cours d’une garde à vue dans le commissariat de police de la ville ou encore en mars 1994 des incidents entre jeunes et forces de l’ordre à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise) après la mort du jeune Philippe Huynh, 16 ans, liée encore une fois à des altercations avec la police. Les textes suivants illustrent bien les violences policières commises sur le plus souvent, la jeunesse des cités : «Faut mettre une fin à la brutalité policière.» de Cavaliers Noirs, 2002 ; «Les crimes policiers ou bavures policières, il faut qu’ça cesse, il faut qu’ça cesse !» rappe le groupe Assassin en 2002 dans leur titre État Assassin qui rend hommage à plusieurs victimes de violences policières.


Parfois, le rap engagé peut sembler violent, et certains rappeurs ont été poursuivis par la justice, en 2002 quand Nicolas Sarkozy porte plainte contre Hamé, l’un des rappeurs du groupe La Rumeur, coupable selon lui d’avoir diffamé la police. Leur premier album retrace plusieurs décennies de brutalités policières, faisant des jeunes de banlieues les victimes plutôt que les acteurs. Le ministère de l’Intérieur (Nicolas Sarkozy) décide de porter plainte pour « délit de diffamation publique envers une administration publique, en l'espèce la police nationale. ». Hamé a finalement gagné le procès qui a duré 8 ans.


 Hamé du groupe La Rumeur

 

    Les faits divers liés aux banlieues vont se multiplier et l’état de celles-ci se dégrader. Grâce aux textes de rap qui témoignaient de la vie dans les cités, des solutions ont été mises en place comme en mai 1994 avec le discours de Mme Veil devant le Conseil national pour l’intégration des populations immigrées ou des organisations de maires, réunis pour l’amélioration de l’état des quartiers défavorisés.

L’exemple du groupe NTM dénonce le mal de vivre des jeunes des banlieues donnant un aperçu de leur quotidien, des textes violents et provocateurs qui insufflent un esprit de révolte face aux injustices sociales et politiques.

Dans le titre Le monde de demain de 1991 Joey Starr rappe «Les gens tournent le dos/Aux problèmes cruciaux/Aux problèmes sociaux/Qui asphyxient la jeunesse/Qui résident aux abords/Au Sud, à l'Est, à l'Ouest, au Nord»

Le groupe explique l’ignorance des gens face aux problèmes auxquels les banlieues sont confrontées et qui touchent plus principalement la jeunesse.


JoeyStarr et Kool Shen du groupe Suprême NTM


Dans le couplet 3 Kool Shen dit «Je ne te demande pas de comprendre / Mais de résoudre/ Les problèmes qui habitent/ La banlieue qui s’agite/ Toujours plus vite/ Sans limite/ Admet qu’il y a un point critique/ A ne pas dépasser.»

Ici on parle de la dégradation de l'état des banlieues qui a l'air de s'accélérer et si personne ne réagit, la violence qui y règne ne fera qu’augmenter.

Dans Demain c’est loin(1997), le groupe IAM dresse un portrait plutôt pessimiste -bien que réaliste- des banlieues : «Horizons cimentés, pickpockets, toxicos. Personnes honnêtes ignorées, superflics, Zorros. Politiciens et journalistes en visite au zoo».

 

    Ensuite, l’une des principales dénonciations des rappeurs est le racisme bien trop présent dans la société pour eux, le rap devient rapidement un outil de lutte contre les inégalités et la discrimination.

NTM souligne la persistance d’un racisme institutionnel :

Comme par exemple en 1991, NTM clame «Il est blanc, je suis noir, la différence ne se voit que dans les yeux des bâtards». Il dénonce ici les racistes qui sont les seuls à voir des différences entre noirs et blancs.

 Le titre Police de Saïan Supa Crew (2001) détaille les rapports jeunes/forces de l’ordre. La police est ici perçue comme raciste :

«On aurait pas dû vous descendre des cocotiers où vous étiez perchés/ Bande d’animaux bons qu’à être postiers. / Ta race est sale, une raclure, même pas une moitié/ Police sur ma peau lit “C’est un Blacky’, donc il peut pas être poli.».

En 1995, dans Plus jamais ça, NTM affirme :

«Les honneurs, la patrie, les conquêtes et les colonies / On a déjà vu le résultat de ces conneries / Alors va-t-on continuer à se laisser manœuvrer / Par la haine d’un déséquilibré mental / Je vous rappelle qu’il prône la ségrégation raciale / Je vous rappelle encore que cet homme n’est pas normal / Et ce depuis la déconvenue de la guerre d’Algérie / Qu’il n’a pas digérée.»


    La politique influence aussi les rappeurs avec des paroles traitant de thématiques sociétales avec une volonté d’émancipation collective.

Quand Jean-Marie Le Pen s’est qualifié au second tour des élections présidentielles, le 21 avril 2002, des rappeurs se sont rassemblés pour faire un morceau collectif afin d'inciter les jeunes à ne pas voter pour le parti d'extrême droite. Intitulé La lutte est en marche, le morceau réunissait Mr. R, Le Rat Luciano, Tandem, la Scred Connexion, Ol Kainry, Kamnouze, Al Peco, Youssoupha, Triptik, Diam's, Sniper, Arsenik et Abd Al Malik (des grands rappeurs).


Pochette de l’album Sachons dire non qui compte plus d’une dizaine de rappeurs français :  https://www.youtube.com/watch?v=q3nDa3IrBWg


Ce ne sont pas les seuls rappeurs à s’être confrontés au FN, en 2004 Diam’s écrit le titre Marine, en opposition aux idées du Front National plutôt racistes et xénophobes, en rappant «Donc j’emmerde. J’emmerde qui ? Le Front National."

Le morceau devient particulièrement populaire, le rap peut être donc perçu comme une prise de parole politique et engagée mais ce texte ne représentera à aucun moment, pour personne, une prise de position courageuse ou subversive de la rappeuse qui veut faire ressentir l’expression d’une jeunesse dégoûtée par le Front National.

Ou encore quand  Ministère A.M.E.R s’en prend aux politiciens qu’ils accusent de s’enrichir sur le dos des autres : «Nos richesses disparaissent sans cesse / Qu’en pense la presse / Absence de mot pendant qu’ils bouffent sur notre dos […] / Fardeau sur notre peau / Vois le poids des CFA / Qui est réellement roi dans nos états […]

«Lorsque leurs proches se font assassiner.../Est-ceci la Liberté-Egalité-Fraternité?/ J’en ai bien peur.». Dans ces vers NTM s’attaque aux valeurs fondamentales de la République Française. Des valeurs aussi naïves que peu respectées car la majorité des français dans les années 90 restait passive par rapport aux graves incidents dans les banlieues.

En 2018, quand le rappeur D1ST1 réalise le clip de rap Gilets jaunes lors des manifestations des gilets jaunes à Toulouse, il revendique dans ses paroles les mêmes revendications que celles de gilets jaunes et dénonce les violences des CRS sur les manifestants.  


https://www.youtube.com/watch?v=ix0p5Q1937o

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